Le traumatisme de la Grande Guerre
La conférence intitulée « Les soldats alsaciens lorrains de la Grande Guerre dans la mémoire collective française » débute par un visionnage d’une allocution présidentielle assez récente, témoignant de la perception actuelle de l’image du soldat alsacien-lorrain. On peut entendre "La jeunesse a combattu sous l’uniforme allemand avec un cœur français".
De quelle façon s’est formé le souvenir de cette expérience de guerre sous l’uniforme allemand ? "C’est notre présent qui dicte comment intégrer l’histoire, propose Raphaël Georges. On s'est attaché aux faits d’armes, aux responsabilités des États, au détriment du vécu des soldats. L’histoire a sa propre histoire et donne l’occasion aux historiens d’établir des recherches sur l’évolution de la perception d’événements passés".
La mobilisation dans l’armée allemande, s’est produite sans trop de problème, hormis pour une minorité d’Alsaciens-Lorrains. Il n’y a pas eu de difficultés à redevenir français non plus.
Mais les autorités militaires allemandes se méfient de ces Alsaciens-Lorrains soupçonnés d’être trop attachés à la France. Ils font l’objet de mesures spéciales, éloignement sur le front Est, censure du courrier, permissions plus rares. Cette suspicion d’abord exprimée par le haut de la hiérarchie est reprise par les simples soldats allemands à l’encontre des Alsaciens Lorrains qui sont traités de « Franzosenkopf ». Face à cette déconsidération, ils commencent à former une force centrifuge, en opposition à leur engagement du début.
En même temps, la France développe une propagande où il est affirmé qu’en cas de victoire française, les Lorrains réintégreront la France. Pour eux, cette promesse devient un horizon d’attente se concrétisant en horizon national français.
Que va-t-on inscrire comme épitaphe ?
L'Allemagne défaite, la plupart des Alsaciens-Lorrains, hormis les germanophiles convaincus, retournent dans leurs foyers. Comment se souvient-on de toute cette histoire ? Et Raphaël Georges de projeter différents supports qui ont participé à la mémoire de toute cette période. Cartes-postales, film patriotique, affiches, «unes » de journaux. L’État et l’Armée n’économisent pas les discours de propagande. On récite aux enfants l’histoire de Lisele et Seppele pleurant le départ du cousin Louis Müller et riant à l’histoire de l’Alsace racontée aux enfants est bien sûr cité.
Concernant les monuments aux morts, que va-t-on inscrire comme épitaphe ? Morts pour la France ? Impossible – « A nos morts » est l’épitaphe la plus employée. Les variantes cependant ne manquent pas mais on se soucie toujours de la neutralité. L’effet recherché consiste à oublier l’implication dans l’Armée allemande.
Et puis il y a les discours devant les monuments aux morts. L’unanimité consiste à intégrer les soldats lorrains dans la nation française.
Après la guerre de 1939-1945, le souvenir de la Première Guerre mondiale s’efface, dit le conférencier. Le traumatisme vécu par les Malgrés-Nous fige les esprits et les langues. En 1968 on fête les 50 ans de l’armistice de 1918, et on invite les anciens combattants alsaciens-lorrains. Le récit de "Marthe et Mathilde" de Pascale Hugues, témoigne de l’histoire mouvementée de l’Alsace pendant cette centaine d’années. Mais la génération de 1968 ne veut plus entendre parler de la guerre. Au milieu des années 1970 un discours unique pour les cérémonies du 11 novembre est imposé.
En 1990, un léger tournant s’opère, les vétérans de la Première Guerre mondiale disparaissant, s’impose la nécessité de sauvegarder leur vécu de guerre. En 1995 Jacque Chirac octroie la Légion d'Honneur aux soldats de la Première Guerre mondiale, sauf aux Alsaciens-Lorrains ce qui ne manque pas de suciter des réactions de la part des politiques locaux. En 1996, le film de Michel Favart « Les deux Mathilde » permet de montrer la complexité du vécu des Alsaciens durant 1914-1918. A partir de là, on sort de l'oubli.
À l’heure actuelle, les photos des combattants alsaciens refont surface, on en fait la collecte pour des expositions. L’amitié franco-allemande est réelle, ses effets sont visibles pour la région Alsace-Moselle. On assume une histoire plus décomplexée.
Alors oui, soutient le conférencier, la mémoire a son histoire, le souvenir a son histoire. La construction d’un « roman national » mérite une déconstruction, c’est la tâche des historiens.
Une très forte conclusion de cette passionnante conférence est formulée par un membre du public : «Vous savez, quand mon grand-père aveugle est rentré en 1918, peu lui importait d’être allemand ou francais. Ce qui comptait pour lui, c’était de rentrer dans son foyer. »